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Interview

Sibyle Veil : « Radio France ne doit pas laisser les Gafa s'approprier le lien direct avec les auditeurs »

Un an après sa nomination à la présidence de Radio France, Sibyle Veil dresse un premier bilan. Elle revient sur les ambitions du groupe public qui vient d'obtenir six fréquences nationales pour la radio numérique terrestre (ou DAB +). L'autre enjeu majeur pour les radios, c'est aussi de ramener les auditeurs vers leurs propres plates-formes sur Internet, alors que ceux-ci écoutent de plus en plus les émissions et podcasts via les applications des géants du Web, en particulier celle d'Apple.

Sibyle Veil, née Sibyle Petitjean en 1977, haute fonctionnaire française, présidente-directrice générale de Radio France depuis avril 2018.
Sibyle Veil, née Sibyle Petitjean en 1977, haute fonctionnaire française, présidente-directrice générale de Radio France depuis avril 2018. (Audoin Desforges / Pasco)

Par Fabienne Schmitt, David Barroux, Nicolas Madelaine

Publié le 14 mars 2019 à 06:00Mis à jour le 14 mars 2019 à 11:06

Qu'attendez-vous de la radio numérique terrestre en DAB + sur laquelle vous avez obtenu des fréquences pour toutes vos antennes nationales ?

Le développement de la nouvelle technologie de diffusion en DAB + est une excellente nouvelle pour nos auditeurs. Il projette Radio France dans les usages de la radio de demain, à savoir donner le choix aux auditeurs entre une écoute de la radio en direct accessible pour tous et partout sur le territoire, gratuite et anonyme grâce au DAB +. C'est en parfaite adéquation avec nos missions de service public ! Et par ailleurs une radio à la carte via Internet pour une écoute personnalisée. Donner ce choix est notre parti pris stratégique d'avenir.

C'est ce qui justifie que Radio France se paye le luxe de dépenser 12 millions à terme dans cette technologie ?

La maîtrise de notre distribution est notre premier enjeu. A l'heure où les géants du Web sont dans une position hégémonique, s'interposent entre nous et les publics, la neutralité du Web n'existe plus. Ils peuvent distribuer les audiences et orientent au travers de leurs algorithmes notre compréhension du monde. Le DAB + est la seule nouvelle technologie qui nous permet de tenir la promesse de radios accessibles à tous et d'un lien direct avec nos publics. C'est ma responsabilité d'y veiller. Enfin, si nous prévoyons un coût de double diffusion DAB +/FM, il n'augmentera que progressivement sur huit ans. Il pourra être financé par des économies sur la diffusion FM.

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Le DAB + peut-il remplacer la FM ? Les places dans les multiplex nationaux aujourd'hui ne couvrent pas tout le territoire…

Ce sont les usages qui le diront. Votre lecteur imagine-t-il dans 10 ans ajuster son tuner radio pour mettre fin aux grésillements FM ? La loi en France impose aux fabricants d'inclure la technologie DAB + dans les appareils et l'Union européenne le prévoit pour les véhicules dès 2020. L'ensemble des grands acteurs de la filière radio s'étant engagés dans un nouveau mode de diffusion, les conditions sont aujourd'hui réunies pour que les gens adoptent cette nouvelle technologie. Et nos radios pourront avoir à terme sur le DAB + la même couverture que la FM. Certains pays, comme la Norvège, ont basculé en éteignant la FM. La Suisse y réfléchit.

Avez-vous de bonnes relations avec les géants de l'Internet qui vous distribuent ?

Nous avons des relations de partenariats et de concurrence. Ils nous distribuent, mais surtout se développent grâce à nos contenus et aux data qu'ils récupèrent. 85 % de nos podcasts sont écoutés sur les plates-formes de ces acteurs, dont plus de la moitié sur l'application d'Apple qui est dédiée à ces formats. Je veux développer un lien direct avec nos auditeurs sur notre plate-forme Radio France, ce qui est le meilleur moyen d'améliorer le service qu'on leur rend.

Sur le Web, les radios ont perdu la maîtrise de leur distribution au profit des agrégateurs comme Apple…

Mon objectif, c'est d'inverser cette tendance. C'est pourquoi nous allons développer la performance de nos propres plates-formes et améliorer l'expérience proposée aux auditeurs pour qu'ils choisissent d'écouter nos émissions et podcasts directement chez nous. Personnaliser l'expérience sur nos plates-formes est un chantier prioritaire pour l'année à venir. L'enjeu de notre distribution sur la Toile est tellement vital que nous devons y réfléchir aussi avec les radios privées.

Pourriez-vous vous joindre au « log in » commun que mettent en place les grands groupes de médias français sur Internet ?

Oui. Je suis favorable aux coopérations avec les autres acteurs et la mise en place d'une inscription avec un seul mot de passe simplifierait la vie des internautes français. La condition, c'est le bon usage des données collectées.

Vous êtes déjà ultra-dominant sur les podcasts en France, pourquoi faire aussi des podcasts natifs, alors que la ressource publique va être de plus en plus limitée ?

Nous avons la chance de totaliser 1,5 million de sons disponibles en ligne et d'être le premier producteur de podcasts. Nous les produisons à la vitesse du direct grâce à nos émissions quotidiennes d'histoire, de philosophie, de fiction, d'humour… qui ne se périment pas. Cela restera l'essentiel de notre offre. Mais créer en plus des podcasts natifs, qui ne sont donc pas conçus pour l'antenne radio, nous permet d'être innovants, de tester de nouvelles formes d'écoute. C'est essentiel pour notre mission de service public.

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En réalité, n'avez-vous pas trop d'argent ? Le budget de Radio France s'élève à 660 millions, soit l'équivalant de tous les budgets des radios privées…

Etes-vous sûr de connaître précisément les budgets de nos concurrents dont je constate qu'ils débauchent régulièrement à prix d'or les animateurs de nos antennes ? Quoi qu'il en soit, je peux vous dire que Radio France vit à l'économie depuis plusieurs années avec la baisse de la ressource publique . Et cela va continuer. La masse salariale qui représente 60 % du budget a diminué et le nombre de collaborateurs a été réduit. Surtout, le service public, ce sont des missions particulières : si par exemple France Bleu compte à lui seul plus d'un tiers des effectifs du groupe, c'est parce que cette radio de proximité comprend 44 stations locales qui donnent à entendre la France dans sa diversité.

La Cour des comptes juge la situation financière de Radio France fragile, quelles mesures comptez-vous prendre pour la renforcer ?

Nous travaillons actuellement à un plan stratégique pour 2022 qui sera présenté cet été. Il prendra en compte les économies que le groupe doit faire. C'est un vrai défi car on en a déjà fait beaucoup ces dernières années et parce que nous devons travailler en même temps à développer toutes nos offres numériques.

Le personnel ne travaille-t-il pas trop « à l'ancienne », ne faut-il pas revoir les modes de production de Radio France ?

L'évolution de la production et des métiers sont des axes sur lesquels j'ai construit mon projet de candidature à la présidence de Radio France. L'enjeu, c'est de développer notre capacité à innover dans nos contenus et dans notre manière de produire. Nous y travaillons. Cela ne peut pas se faire en quelques mois. Mais les salariés de Radio France sont déjà en mouvement.

Les économies à prévoir pour encaisser la baisse des ressources publiques passent-elles par la suppression d'un orchestre symphonique ?

Quelles autres formations symphoniques en France ont fait preuve d'un tel dynamisme en développant une présence aussi bien à l'international que dans les territoires et en accompagnant la nouvelle scène artistique ? Je remarque que la Cour des comptes pose plus la question du financement des orchestres, que celle de leur légitimité. C'est dans cette direction que nous travaillons en développant notamment de nouvelles sources de recettes.

La Cour des comptes estime aussi qu'il n'y a pas suffisamment de jours travaillés à Radio France, qu'en pensez-vous ?

Nos salariés sont très engagés . Comme dans beaucoup d'entreprises, les situations sont contrastées et liées aux contraintes inhérentes à chaque métier. Néanmoins, c'est toujours nécessaire de chercher une meilleure efficacité.

Pourriez-vous réclamer la possibilité de faire plus de publicité sur Radio France comme l'avaient fait certains de vos prédécesseurs ?

Je privilégierai toujours le confort d'écoute des auditeurs. A ce titre, j'estime normal que la publicité soit limitée sur les antennes de Radio France. En revanche, quand on réalise de meilleures audiences, il est tout aussi normal que nous puissions ajuster nos tarifs publicitaires. Nous espérons aussi générer de nouvelles sources de revenus avec nos studios d'enregistrements rénovés. Ils pourront servir à des labels, à l'enregistrement de musiques de films… Alors que beaucoup d'enregistrements se font à Abbey Road à Londres, nous avons une opportunité de les rapatrier avec le Brexit.

Des synergies se développent entre France 3 et France Bleu, dans le cadre de la réforme du service public de l'audiovisuel. Mais à ce stade, elles semblent très limitées par rapport à l'ambition de départ…

On a commencé à expérimenter des matinales radio-télé et je peux vous dire que nous avons déjà reçu de nombreux messages d'auditeurs heureux de pouvoir ainsi découvrir les visages de nos antennes. Il est trop tôt pour dire ce que l'on peut retirer de cette expérimentation. Nous dresserons un bilan social et financier prochainement. En tout cas, cette réforme est majeure. Et le service public a déjà prouvé qu'il était capable d'évoluer et d'innover comme avec Franceinfo : l'offre d'information commune radio, télé et numérique.

Franck Riester, le ministre de la Culture, est en faveur d'un holding commun à France Télévisions et Radio France, est-ce souhaitable ?

Il ne m'appartient pas de commenter les décisions de notre actionnaire en matière d'organisation du service public. Le ministre de la culture veut être ambitieux pour le service public. Tant que cette ambition guidera les réformes de gouvernance à venir, les Français seront gagnants d'autant que la crise des « gilets jaunes » a montré le besoin de médias de référence, forts et qui inspirent confiance. Radio France et France Télévisions sont des acteurs spécifiques et leurs offres sont complémentaires pour les publics.

Serez-vous candidate à la présidence de ce holding si il se met en place ?

Non, je suis entièrement dédiée à ma fonction de présidente de Radio France qui me passionne. Nous avons encore beaucoup de défis à relever avec l'ensemble des équipes du groupe.

David Barroux, Nicolas Madelaine et Fabienne Schmitt

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